Historiquement, le Roussillon a été successivement envahi par différents peuples : Ibères, Ligures, Celtes, Romains, Wisigoths, Sarrasins et Francs. C'est à partir des Romains que la religion chrétienne s'est imposée, hormis bien sûr l'épisode sarrasin. L'érémitisme (pratique d'un ermite) est apparu en Roussillon sous les rois carolingiens (conquête de Charlemagne en 811) à la suite des premiers pratiquants qui s'étaient installés au IXe siècle dans le massif de Montserrat. Les premiers ermitages catalans apparaissent en 888, puis en 945.
C'est en 983 que l'on a une trace du premier ermite en Roussillon. Il s'agissait d'Orséolo, doge de Venise, venu rencontrer Garin, abbé de Saint-Michel de Cuxa. Après la rencontre, il voulut se retirer dans les parages du monastère, ce qu'il fit. Il mourut dans une cabane de bois en 997 ou 998, au lieu-dit Llongadera. Par la suite, ce lieu abrita plusieurs chapelles successives, dont la dernière fut détruite en 1981. Il en reste une pierre dite bénéfique car elle aurait le pouvoir, selon la légende populaire, de soigner différentes afflictions.
Avant l'an mil, il est très difficile de savoir quelle était la situation des ermites. Leurs motivations semblent purement religieuses, on pourrait les considérer comme tentant d'atteindre un état parfait de communication avec Dieu. Quoi qu'il en soit, on trouve une trace de deux autres personnes, Marin et Romuald, tous deux moines à Saint-Michel de Cuxa, qui décidèrent de vivre isolés dans un bois de chênes verts entre Cuxa et la Villa Cortis, près d'une source existante encore sous le nom de Font Emboada.
Les fondations érémitiques
Cette forme d'ermite va peu à peu disparaître au profit d'autres qui vivront dans des bâtiments en dur, certes rustiques, mais de vraies églises ou chapelles. Il s'agissait la plupart du temps d'anciennes chapelles de paroisses désaffectées (Fornols au XIVe siècle, Tura au XVe, les Abeilles au XVIIIe, etc.). Mais cela pouvait aussi être des chapelles isolées issues de châteaux féodaux détruits (château de Pena, en 1011 ; château de Llo, en 1095), ou d'anciens monastères ou prieurés désaffectés (prieuré de Sainte-Engracia de Montdony, cité en 1369).
Il existe également un dernier cas possible : les ermitages créés de toutes pièces pour la vie d'ermites. C'est le cas de Saint-Pierre de la Roca, à Fuilla (cité en 1040), transformé en 1225 en prieuré par la suite. Toutes ces chapelles avaient pour particularité d'être isolées. Même celles de la plaine, qui étaient plongées dans la végétation, sans aucune route pour y accéder, étaient parfois plus isolées qu'un édifice de moyenne montagne, situé sur un mamelon rocheux à gravir.
Jusqu'au XVIIe siècle, les ermites étaient des religieux ayant pour vocation de vivre en autarcie, isolés du reste du monde. Ils portaient la bure et assuraient le service religieux de la chapelle, suivi parfois par les populations locales.
L'âge d'or des ermites : le XVIIe siècle
À partir du XVIIe siècle, les mentalités évoluent. Le nombre d'ermitages augmente. On ne devient plus ermite par vocation d'ascétisme, mais pour participer à la vie religieuse catalane. L'ermite devient un référent, une personne accessible dont la vocation est d'assurer le maintien d'une activité religieuse dans un secteur géographique donné. Il a des préoccupations matérielles : il doit faire vivre son ermitage, l'agrandir pour accueillir les pèlerins et les voyageurs. Il est le conseiller de la population et joue un rôle social important dans la société catalane.
Plus proches de la sécularisation, ces ermites participent à la vie de tous les jours. Ils étaient nommés par la communauté religieuse du lieu (monastère, curé) et pouvaient en être exclus. Le poste devient un peu plus politique et un peu moins religieux. Ils devaient quêter dans les villages environnants dans le but de récolter de quoi subsister. Le territoire de quête était strictement défini, et ils ne pouvaient pas s'en éloigner. Ils se déplaçaient avec leurs "capelletas", une chapelle portative dont la rusticité initiale s'était transformée au fil du temps en un objet d'art complexe. De nos jours, il nous reste quelques "capelletas" de toute beauté, bien que rares. Généralement, ils étaient bien accueillis par la population lorsqu'ils quêtaient, car les ermites n'avaient pas le droit de s'éloigner de leurs ermitages pour d'autres raisons.
Leurs situations personnelles variaient d'un ermitage à l'autre. Le confort dépendait des logements disponibles, mais aussi de la richesse de l'ermite au moment où il prenait la charge. Il conservait ses biens, parfois les léguait à l'ermitage, ou utilisait sa fortune personnelle pour améliorer le confort ou acquérir des objets religieux pour l'ermitage.
Les aplecs
L'ermite, une ou plusieurs fois par an, se trouvait au centre d'une ferveur religieuse : l'aplec. Toute la population des environs montait le voir. Sur le parvis de la chapelle, on discutait, on criait, on jouait ; toute la population se retrouvait, c'était un jour de fête. Le curé du village montait y dire la messe, puis le reste de la journée était consacré aux jeux et aux danses, si l'espace le permettait. Par exemple, à Saint-Antoine de Galamus, c'était impossible !
Voici quelques dates d'aplecs pratiqués dans les ermitages du Roussillon :
- Saint-Christophe du Vernet, à Perpignan : le 10 juillet
- Saint-Pierre du Vilar, à Claira : les lundis de Pâques, de Pentecôte et le 19 août
- Saint-Christophe de Llugols, à Ria : le 3 mai et le 10 juillet
- Saint-Étienne de Pomers, à Clara : le 3 août
- Notre-Dame des Abeilles, à Banyuls-sur-Mer : le mardi de Pentecôte
- Notre-Dame de Consolation, à Collioure : le 1er mai et le 8 septembre
- Saint-Guilhem de Combret : le 28 mai et le 22 juillet
- Sainte-Engracia de Montdony : le jour de Pâques
Un coup d'arrêt dans la pratique érémitique
À la période révolutionnaire, les cahiers de doléances montrent que les Catalans voulaient conserver leurs usages religieux. Les ermites ne furent donc pas visés directement par les habitants, qui voulaient garder les aplecs, entre autres. Le 2 janvier 1790, l'assemblée générale de Perpignan déclarait clairement que les biens ecclésiastiques de notre province ne sauraient être une ressource pour l'État.
Mais la Révolution était en marche, et l'esprit anticlérical triomphait. Le 13 février 1790, les vœux religieux furent supprimés. Le 16 avril, les biens ecclésiastiques furent nationalisés. Le 4 août 1792, les couvents encore en activité furent condamnés à fermer.
Le 20 septembre 1791, le procureur général de Perpignan indiquait qu'il restait encore de nombreuses chapelles et ermitages habités alors qu'ils ne constituaient pas des paroisses. Il recommandait donc de les faire évacuer et fermer au plus vite. Cependant, l'application de ce décret traînant, une décision ferme fut prise le 17 mai 1792 pour clôturer les ermitages et autres chapelles non paroissiales, et pour récupérer tous les objets pouvant servir à battre monnaie pour cet usage.
Ce fut la fin temporaire de la vie érémitique. Les ermitages furent vendus comme biens d'État. Ils furent rachetés pour devenir des remises, des granges (ce qui provoqua souvent la disparition de l'édifice), ou pour conserver le lieu en l'état en attendant des jours meilleurs. Cet acte de charité provenait soit d'individus aisés, soit de groupes collectifs (Notre-Dame du Coral en est un exemple). Certains ermites rachetèrent même leurs propres ermitages.
La loi du 21 février 1795 assouplit la pratique du culte, et les aplecs purent reprendre en Roussillon. La reprise de la fonction d'ermite eut lieu plus tard, au début du XIXe siècle. Ces assouplissements provoquèrent la colère des autorités communales et des préfets, ce qui engendra des tensions importantes entre les religieux et les pouvoirs locaux.
À partir de la fin du XIXe siècle, la fonction d'ermite évolua encore. Il ne s'agissait plus de religieux, mais de personnes dotées d'une forte croyance. Ils étaient parfois mariés et ne portaient donc plus la bure. Les ermites avaient une image vieillissante, démodée. Plus personne ne voulait exercer cette fonction. La population exprimait plus librement son mécontentement envers les pratiques religieuses, et les mentalités changeaient. La loi de séparation de l'Église et de l'État, votée en 1905, accentua la perception de séparation des rôles. L'ermite apparaissait comme un hybride entre le religieux et le laïc, alors qu'à cette époque il fallait choisir un camp, ce qui entraîna des défections. Les communes en vinrent même à passer des annonces pour recruter des ermites.
La pratique disparut au début du XXe siècle dans tous les ermitages. Le dernier ermite mourut en 1950. La fonction n'avait à cette époque plus aucun sens, s'étant vidée de son esprit religieux. Ci-dessous une photo rare : un ermite du Conflent au début du XXe siècle.
Liste des ermitages des Pyrénées-Orientales
Amélie les bains
Argelès sur mer
Arles sur Tech
Baixas
Banyuls sur mer
Bouleternère
Calmeilles
Camélas
Campôme
Canet en Roussillon
Cases de Pène
Catllar
Céret
Château-Roussillon
Claira
Clara
Codalet
Collioure
Corneilla del Vercol
Estagel
Font-Romeu
Fourques
Fuilla
Ille sur Tet
La Bastide
Laroque des Albères
Le Boulou
Le Tech
Llupia
Millas
Mosset
Nyer
Passa
Perpignan
- Notre Dame de Mailloles (Mailloles)
- St Assiscle et Ste Victoire (Mailloles)
- St Christophe (Le Vernet)
Pézilla la Rivière
Pia
Prats de Mollo
Reynès
Ria
Rivesaltes
Rodès
Sorède
St Féliu d'Avall
St Paul de Fenouillet
Thuir
Torreilles
Villelongue dels monts
Vinça