Histoire
Origine
C'est en 846, soit cinquante ans après la création de l'abbaye de Ste Marie d'Arles que sept prêtres et quelques laïcs arrivèrent sur la
plaine de la Llitera, petite rivière descendant du Canigou et traversant Taurinya. Ils s'installèrent
sur ce lieu désertique appelé Exalada pour y mener une vie monastique et y bâtirent un monastère dédié
à St André.
Malheureusement pour eux un glissement de terrain eu raison de l'édifice trente ans plus tard. Les survivants de la catastrophe s'installèrent
provisoirement dans la chapelle de St Martin de Clara, sur les pentes du Canigou.
Or un certain Protasius possédait non loin de là, dans la vallée du Cuxa un alleu sur lequel s'élevait un très modeste oratoire dédié à
St Germain. C'est là que s'installeront définitivement les moines. Les premiers travaux consistèrent à élever un sanctuaire en grosses pierres
roulées et en argile. Or leur emplacement n'était pas très loin du "palais" des comtes de Cerdagne dont dépendait l'alleu. Ceux-ci leurs firent
don de nombreuses terres et de bénéfices, ce qui permis à l'abbaye de progresser rapidement.
Au Xe siècle il y avait déjà 50 moines et 20 serviteurs, les terres aux alentours étaient cultivées et plusieurs troupeaux de vaches et
brebis faisaient vivre les moines. En 879, l'abbé Protasius, probablement le fondateur, mourut. La bibliothèque du lieu religieux contenait
... 30 livres ! C'était à l'époque assez extraordinaire...
L'abbaye reçut la visite du doge de Venise Pierre Orséolo, de Romuald, fondateur de l'ordre des camaldules, de Gerbert d'Aurillac futur pape.
L'église Saint-Germain fut reconstruite et consacrée en 953, l'oratoire consacré à saint Michel qui donna finalement son nom au monastère fut
agrandi et consacré en 975. C'est cette église qui fut au XIe largement agrandie et embellie par l'abbé Oliba ; le grand cloître fut élevé au
XIIe.
Expansion
Deux abbés furent les fers de lance de St Michel. Le premier était Guarin, dans le 1er quart du Xe siècle et l'autre Oliba, dans la première
moitié du XIe. Guarin était non seulement abbé de St Michel de Cuxa mais également de trois autres abbayes et deux prieurés situés en bas
Languedoc. Son importance était telle que les rois carolingiens lui demandèrent d'aller visiter les monastères bénédictins en Terre Sainte.
Ce rayonnement apporta à l'abbaye de nombreuses personnes. Du coup l'église abbatiale était trop petite. Guarin en fit construire une plus
grande en 974 avec l'aide de la famille comtale de Cerdagne. Il faut dire qu'à cette époque ce comte, Séniofred, cherchait à savoir quel
œuvre il pourrait faire pour arriver au royaume des cieux. L'idée lui fut donc insufflée de faire agrandir cette église "pour le repos du
comte Miron et afin que sa mère Ava, son frère Oliba et lui-même comte de Cerdagne
jouissent d'une bonne santé, obtiennent la rémission de leurs péchés et soient un jour assis dans la gloire du royaume des cieux" (acte de
consécration de la nouvelle église, dédié à St Michel). Ce jour là les évêques d'Elne, de Vich, de Gérone, d'Urgel, de Couserans, de
Carcassonne et de Toulouse sont présents. C'est dire l'importance de Guarin !
Durant la première moitié du XIe siècle l'abbé est un certain Oliba. Fils du comte de Cerdagne, Oliba avait hérité de son père le
Conflent. Nouveau comte, il était donc aussi abbé. Ses vœux monacaux furent prononcés à
Sainte Marie de Ripoll en 1002. Il y restera le temps nécessaire à sa formation sur les Saintes Ecritures, puis en 1008 il fut nommé abbé
de Ste Marie de Ripoll et de St Michel de Cuxa, qu'il conservera jusqu'à sa mort. En plus en 1018 il sera nommé évêque de Vich.
Oliba fera modifier les bâtiments. Il ajoutera deux tours (dont une seule existe toujours), ornera l'église et surtout fera construire
l'étonnante église souterraine Notre Dame de la Crèche. Mais la principale oeuvre d'Oliba fut le synode de
Toulouges, dont les effets furent bénéfiques pour les guerres intestines.
Les Seigneuries dépendantes de St Michel
L'abbaye s'est rapidement doté de nombreuses seigneuries grâce à la générosité des comtes de Cerdagne. Ces seigneuries avaient pour taches
de fournir à la communauté de moines tout ce dont ils avaient besoin pour survivre. En échange les moines leurs apportaient la reconnaissance
spirituelle et la sécurité.
Les possessions de l'abbaye durant le XIe siècle était gigantesque. En Cerdagne, elle dirigeait les paroisses
des Angles, de la Llagonne, de
Prats-Balaguer, de
St Pierre del Forcats. Dans le Conflent, c'était Fuilla,
Baillestavy, Serdinya,
Campoussy, Vernet, Ria, Sirach,
Sahorre, Py. En Roussillon,
St Féliu, Millas, Thuir,
Ille sur Têt, Baho. Elle avait également la paroisse de
Valmanya, qui restera une de ses possessions jusqu'à la Révolution Française (D'ailleurs le blason de
Valmanya arborre la crosse abbatiale)
L'Abbaye à l'épreuve du temps
Mais revenons à l'histoire de l'abbaye. En 1009 Selva, un moine, fut choisi pour diriger les travaux d'une autre abbaye,
St Martin du Canigou, dont il deviendra le premier abbé.
Au XIIe siècle le monastère se dota d'un cloître. Il fut créé par l'abbé Grégoire. Le 15 mai 1252 un acte passé devant notaire indique que
l'abbaye possédait sur ses terres un hôpital, lieu d'asile pour les malades. Lors de l'épisode de la reprise du royaume de Majorque, Pierre IV
le cérémonieux, roi d'Aragon, écrivit :
Nous vînmes en ce jour au monastère de St Michel de Cuxa, à une demi-lieue de Villefranche de Conflent et nous y séjournâmes quatorze jours.
Nous fîmes démolir les remparts et les tours que jacques de Montpellier (jacques II de Majorque) avait établis là. Nous fîmes également
abattre les fortifications de Codalet, Prades et Marquixanes.
cinq ans après, l'abbé Raymond relève la tour de défense de l'abbaye et les murailles de Codalet. En 1382 Galcerand de Descatllar est abbé.
Il eu a faire face à une fronde de la population provoqué par le viguier de Villefranche de Conflent
dont l'origine semblerait remonter à une division au sein même de la communauté monastique. Toujours est-il que l'abbé se plaignit au roi que
les portes de l'église avait été forcé par une foule nombreuse conduite par Arnald de Banyuls, le viguier.
L'abbé et plusieurs religieux furent arrêtés et emprisonnés à Villefranche. Jean 1er d'Aragon prit fait et cause pour l'abbé et écrivit à
Arnald. "Ma démarche contre vous est profondément justifiée car les motifs dont vous vous êtes servi pour incriminer l'abbé sont injustifiés et
de pure invention. L'abbé était parfaitement dans son droit lorsqu'il a infligé des peines méritées à tel ou tel de ses religieux. Un contrat
signé de part et d'autre l'autorisait, le cas échéant, à faire exécuter ses peines."
La suite du texte ordonnait la libération des prisonniers et un avertissement contre Arnald pour le cas où cet évènement se reproduirait.
Moins de cent ans plus tard le siège de l'abbé est resté vacant pendant cinq ans. On songea même à unir St Martin du Canigou, pourtant issu
de St Michel, à l'abbaye. En 1561 Louis de Cagarriga était abbé de St Michel de Cuxa. Le monastère possédait à cette époque une relique de la
Ste Croix de 10cm, ce qui en faisait un morceau trop gros pour ne pas être suspect. Vu que l'on était en plein protestantisme et que les adeptes
de ce courant religieux supprimaient le culte des reliques, l'abbé imposa que l'on brûle la relique. La légende raconte que le morceau de bois
fut retrouvé intact au milieu des cendres.
Le successeur de louis de Cagarriga fut un religieux qui n'eu que le titre de prieur claustral, puis se fut Bernard de Cardonna, l'évêque de
Vich. Il s'attacha à embellir l'église auquel il ajoutera en particulier un autel fait en marbre de Villefranche qui resta à sa place jusqu'à la
révolution. Son successeur fut Dom Pierre Puigmari y Fumez, qui administra tranquillement la vie monastique et civile de Codalet.
Prise du Roussillon par la France
A la signature du traité des Pyrénées en 1659, le Roussillon devient français. L'abbaye de St Michel change d'abbé en la personne de Joseph
de Trobat, fidèle du roi de France ayant participé activement à la rédaction du traité. Son frère était Raymond de Trobat, intendant du Roussillon
et membre du conseil souverain. Autant dire qu'à eux deux, ils détenaient le pouvoir temporel et spirituel de la région.
Mais Joseph n'était pas un ecclésiastique. Il se fit élire abbé en moins d'une heure, la cérémonie lui permettant de postuler à l'habit
bénédictin, de commencer et terminer son noviciat puis de recevoir la bénédiction abbatiale. Ce qu'un moine met des années à accomplir !
Vu comme ça, la vie monastique n'avait plus de sens. L'abbé s'en désintéressait et bientôt on vit les moines s'isoler dans des bâtiments à
part, chacun ayant une vie autonome n'ayant plus aucun rapport avec le but premier de l'abbaye.
Déchéance de l'abbaye
La chute vint en 1768. Un édit royal et une bulle du pape Clément XIV ordonnent l'abolition des bénéfices dans l'ordre bénédictins en même temps
que le retour à la vie communautaire. Mais les moines étaient trop habitués à leur confort personnel. L'abbé tenta de faire appliquer cette
décision mais il ne put venir à bout des réticences.
Le 4 août 1789 l'Assemblée Nationale décrète l'abolition de tous les privilèges et bénéfices. La plupart des moines de St Michel ne veulent
pas revenir à la vie monacale, il s'éparpillent dans la vie civile. Le 23 février 1790 l'Assemblée supprime les ordres monastiques. Autour de
l'abbé, il n'y a plus que 7 religieux. Le 29 avril les officiers municipaux de Codalet viennent faire
l'inventaire des biens et meubles de l'abbaye. Tout ce qui est recensé sera dispersé, y compris les précieuses archives et disparaîtront
définitivement.
Quelques mois plus tard, l'abbé décède, il est remplacé par un parent de Trobat, Dom Joseph de Trobat, un vrai moine et noble de surcroît. Il
résiste tant bien que mal à la dispersion des biens de son abbaye, mais quand les révolutionnaires forcent les portes le 27 janvier 1793, il est
seul, les derniers moines étant partis définitivement. Chassé, ce sera le premier jour depuis 1000 ans sans prière dans l'abbaye.
Peu à peu les édifices, abandonnées, tombent en ruine. seule l'église et la maison abbatiale restent encore debout. De nombreuses pièces
architecturales sont amenées ailleurs (chapiteau de colonnes à Prades, la grande vasque de marbre qui était
au centre du cloître est maintenant à Eze, près de Nice, et les plus belles pièces sont aux musées des cloîtres, à New-York.
En 1830 la foudre s'abattit sur une des deux tours qui s'écroula. La voûte de l'église s'effondra, l'église souterraine se remplit de gravats.
Renouveau de l'abbaye
Au début du XXe siècle, l'évêque de Perpignan monseigneur Carsalade du Pont décida de faire revivre l'abbaye. Il y parviendra à force de tenter
de convaincre les habitants, les ordres religieux mais surtout les autorités locales. En 1907 une partie du cloître est acheté par un riche
américain, George Grey Barnard. Le Métropolitan Museum de New-York le récupère et fait ériger le cloître sur les berges de l'Hudson. Le 7 mai 1919
des moines originaires d'Espagne arrivèrent à Cuxa pour faire revivre la communauté religieuse. Ce sont des Cisterciens, ils y sont toujours de nos
jours.
L'abbaye a été prise en charge par les Monuments historiques après la guerre.