Origine de la création du royaume de Majorque
Arrêté dans son expansion par l'épisode cathare, l'Aragon de Jacques le Conquérant, au sein duquel se trouve la Catalogne, s'est tourné vers le Sud et la Méditerranée. Les conquêtes maritimes laissent entrevoir un grand espoir de croissance vers des pays jusqu'alors inaccessibles, mais la création du royaume de Majorque va, un temps, focaliser l'attention de son successeur.
Nous sommes en 1276. Cette année-là marque la mort de Jacques Ier le Conquérant. Ce roi avait l'ambitieuse volonté que ses cinq enfants soient tous rois ou reines. Or, si ses trois filles avaient épousé des rois, à priori, seul son fils aîné était destiné à devenir roi en prenant sa succession. Pourtant, quelque 14 ans plus tôt, il s'en était arrangé. C'est en effet en 1262 qu'il rédigea son testament, dans lequel il réglait ce problème.
Chartre de création du royaume de Majorque
Jacques Ier avait pris l'initiative de scinder son royaume en deux. À l'aîné Pierre, sa succession sous le nom de Pierre III d'Aragon et de Valence, et à son cadet les comtés Nord-Catalans, plus les îles Baléares et la ville de Montpellier héritée de sa mère, le tout formant le royaume de Majorque. Lui devint alors Jacques II de Majorque.
Ce royaume éphémère avait pour capitale Majorque, sur les îles Baléares. Mais, bien que très bien placée pour poursuivre la réussite maritime de son père, elle avait besoin d'une capitale continentale, plus centrale, siège du pouvoir politique. Perpignan fut naturellement choisie.
L'expansion de Perpignan et de sa région
Perpignan, qui connut son apogée durant cette période, se transforma en pôle économique et politique de premier ordre. Pour asseoir sa nouvelle autorité, il ordonna la construction d’une résidence principale, qui sera nommée plus tard le Palais des rois de Majorque dès 1274, et d'une résidence secondaire en bord de mer, à Collioure. La capitale devint un centre économique : les drapiers (parayre) se multiplient, les marchands traitent avec l'Europe du Nord pour la vente et l'Europe du Sud pour l'achat de matières premières. Les bergers, fournisseurs de laine, sont de plus en plus nombreux. De nombreux métiers se créent ou se développent : horticulteurs pour obtenir des plantes colorant les tissus, cardeurs, etc.
Par ailleurs, il intensifia le réseau des Tours à signaux, en créant de nouvelles et en redéfinissant le rôle des anciennes. Ces tours étaient destinées à prévenir les châtelains et, en premier lieu, le roi de l'imminence d'une invasion. Lorsque Jacques Ier de Majorque les prit en main, les tours changèrent pour la troisième et dernière fois de rôle : le but était désormais de transmettre une information des montagnes vers la mer (Collioure ou Perpignan). À la création des tours, leur rôle était inverse : il s'agissait de prévenir les habitants ayant fui la plaine s'ils pouvaient redescendre ou non des montagnes. Entre-temps, la féodalité carolingienne avait transformé ces tours en postes de surveillance locale, chacune ne devant envoyer des signaux qu'au château dont elle dépendait.
Perpignan se développant, il est facile de deviner que la population était plutôt favorable au royaume de Majorque. Effectivement, le bon roi Jacques II de Majorque fut très apprécié.
Voir aussi : L'industrie textile en Catalogne
Les Vêpres Siciliennes
La croisade contre les Catalans (1285)
Venant tout juste d'être créé, le royaume de Majorque subit les conséquences de l'exiguïté de son territoire, enclavé entre deux puissants voisins : la France et l'Aragon. L’arrivée d’un nouveau souverain fut accueillie positivement par la population locale. Jacques II de Majorque ne cherchant pas à maîtriser la région par la force. C’est pourquoi, durant cette période, les villages du Roussillon et de Cerdagne non seulement vécurent en paix, mais se fortifièrent, obtenant tour à tour une enceinte fortifiée, comme ce fut le cas pour la ville de Rivesaltes, ou des privilèges particuliers.
La région fut également protégée par un système de Tours à signaux fort complexe. Destinées à contrôler le plus précisément possible tous les accès, elles avaient pour tâche de signaler l’arrivée d’une armée en allumant un feu sur le sommet de la tour, signal visuel retransmis de tours en tours jusqu’à ce qu’il soit visible au palais des rois de Majorque. Les principales tours sont toujours debout aujourd’hui, la plus visible étant celle de Tautavel, surnommée "la sentinelle du Roussillon", qui est visible sur la première des quatre collines, plein Ouest, lorsqu’on est en Salanque. Citons aussi d'autres tours, comme celles de Baixas, de la Madeloc, de la Massane, ou, plus vers la Cerdagne, celles de Serdinya, de Fedges, de La Llagonne, des Angles, de Puyvalador et d'Amélie-les-Bains.
1282 : les Vêpres Siciliennes
Le premier événement important fut l'occupation de la Sicile par Pierre III d'Aragon. En effet, dès la mort du roi de Sicile, et avec l'accord du pape, l'île fut occupée et dirigée par Charles d'Anjou, frère du roi de France. Mais les Français se firent détester des habitants, qui estimaient qu'ils abusaient de leurs pouvoirs. Les Siciliens demandèrent donc au roi d'Aragon, Pierre III, dont l'épouse était l'héritière de la Sicile, de lancer une conquête afin de reprendre l'île. C'est ainsi que 250 vaisseaux partirent de Collioure et de Valence.
Or, le 30 mars 1282, ce sont les Vêpres Siciliennes : les habitants massacrent les Français à Palerme et à Messine. Les almogavares — les soldats catalans — débarquent à Palerme et mettent 3 jours pour arriver à Messine. Dirigés par le grand Roger de Lauria, ils feront fuir les troupes françaises et c'est ainsi que Pierre III peut y débarquer le 3 août 1282. Les Français seront encore battus deux fois, en 1283 et 1284.
Devant la perte de l'île par les Français, le pape excommunie alors Pierre III. Il faut dire que ce pape ne devait son élection qu'à un coup de force organisé par le duc d'Anjou. Or, aucun royaume chrétien ne peut être dirigé par un roi excommunié ; il ordonne donc une croisade contre le roi d'Aragon, croisade destinée à prendre le royaume d'Aragon au profit de Charles d'Anjou. Elle sera dirigée par le roi de France Philippe le Hardi.
Pour parvenir en Catalogne-Aragon, il fallait traverser le petit royaume de Majorque. Ce dernier, étant trop petit pour tenir tête aux deux parties à la fois, le roi Jacques II de Majorque s'allia avec le roi de France. Il faut dire que la mauvaise volonté de son frère concernant la légitimité de son royaume avait provoqué de nombreux heurts, se caractérisant par la prise de quelques seigneuries en Roussillon et Cerdagne. Les termes de l'accord signé imposèrent d'ailleurs au roi de France de lancer une expédition dans le Roussillon afin de libérer ces terres occupées illégalement par Pierre II d'Aragon.
C'est ainsi qu'en 1285, la flotte française, composée de 100 navires, mouille à Collioure. Mais lorsque les forces françaises entrent en Roussillon, les villes ferment leurs portes. En effet, la volonté du roi de Majorque n'était pas la même que celle des habitants, qui protégeaient leurs frères catalans de la croisade ! Il fallut 3 assauts pour que Salses tombe. Puis, les Catalans du Nord bloquent le passage du Perthus. Arrêtées, les troupes françaises se replient sur Perpignan, qui ferme ses portes également. Mais un accord est signé : l'armée a le droit de passer en échange de la possibilité d'acheter de la nourriture. En attendant de pouvoir passer au Perthus, ils prennent le Boulou, dont la défense fut assurée par une femme, N'Aligsen. Elne est prise elle aussi le 25 mai 1285, et la cathédrale fut brûlée. Le portail de la cathédrale d'Elne conserve encore de nos jours des traces de cet incendie. Furieux de la difficulté qu'ils ont à franchir les Pyrénées, les Français massacrent la population d'Elne.
Finalement, ils parviennent à passer les Pyrénées par le col de la Massane le 20 juin. La flotte part mouiller à Rosas. Pendant ce temps, les villes de la Catalogne Sud s'étaient préparées. Peralda est prise, puis Figueras, Gérone. C'est alors que la flotte catalane coule ou prend des vaisseaux ennemis. L'armée française se trouve coupée en deux, sans ravitaillement possible. Comble de malchance, le typhus apparaît dans les troupes françaises. Le roi lui-même est atteint. La retraite est inévitable, et le 30 septembre, ils repassent les Pyrénées par le col des Panissars. Heureux de la victoire, les almogavares les poursuivent et n'épargnent que le roi, qui meurt à Perpignan. Son fils Philippe IV le Bel, âgé de 17 ans, lui succède.
C'est ainsi que se termina la croisade contre les Catalans, où il apparut une fois de plus que la frontière naturelle des Pyrénées n'a pas marqué une frontière entre les peuples.
Conséquences sur le Roussillon
Évidemment, la victoire de Pierre III d'Aragon eut de grandes conséquences sur le royaume de Majorque, mais curieusement elles ne vinrent pas de lui, mais du roi de France. Philippe IV était furieux de la défaite, mais surtout de la mort de son père, dont il estimait le roi de Majorque responsable. Vu que le Roussillon était aux mains de son armée, il le conserva en dédommagement, et c'est ainsi que cette région passa aux Français en 1285. En parallèle, les troupes d'Aragon poursuivent leurs conquêtes : Roger de Lauria prend Djerba en 1284, où il fait construire un château. Puis, ce furent au tour des îles de Kerkennah, Pantelleria, et enfin Malte.
L'épopée des Almogavares
Les conquêtes catalanes (1282-1388)
Les almogavares (prononcez "Almogabare") étaient les soldats à pied catalans. Ils avaient pour particularité de ne pas avoir d'armes de défense (boucliers, écus, etc.), ce qui les rendait redoutables : lorsqu'on ne peut pas se défendre, on attaque. Ils n'ont jamais vraiment été nombreux, à peu près 5000. Ils étaient toujours accompagnés de cavaliers, à peu près une centaine, dans leurs attaques, et ils étaient équipés d'armes de jet particulièrement efficaces. Leur tactique était relativement simple : en début de combat, ils faisaient pleuvoir des flèches avec leurs armes de jet sur l'ennemi, ce qui le déstabilisait, enlevait sa confiance et faisait les premiers grands dégâts. Puis les soldats attaquaient "en meute" dans des corps à corps violents, appuyés par les cavaliers. Cette tactique leur permit de se faire une très grande réputation d'efficacité.
Les Catalans à Byzance
Inactifs depuis 1282 et la conquête de la Sicile, les almogavares, les soldats catalans, étaient en manque d'action. Au début du XIVe siècle, ils étaient dirigés par Roger de Flor, qui avait pris le commandement de la troupe.
Ils furent appelés par l'empereur Andronic pour protéger son empire, celui de Byzance, menacé par ses voisins bulgares et turcs. Les almogavares partirent de Sicile en 1302, avec 38 bateaux, 5000 soldats et 1500 cavaliers, plus leurs femmes et enfants. Ils furent accueillis en libérateurs mais s'attirèrent les foudres des Génois, qui étaient déjà sur place et faisaient du commerce. Au printemps commença la campagne de Turquie (1303). Ils coulèrent la flotte turque à Marmara, puis remportèrent la victoire de Germe le 15 mars 1303. 5000 Turcs furent tués, et dans le camp ennemi, ils récupérèrent des trésors. De retour à Byzance, ils furent acclamés pour avoir réussi à mettre en fuite l'ennemi en seulement une semaine.
Puis, une deuxième bataille eut lieu dans le but de libérer Philadelphie. Elle se déroula à Aulax, tout près, contre 8000 cavaliers et 12000 soldats. Ce fut à nouveau une victoire ; Philadelphie fut libéré. De là, les almogavares partirent à Manisa se reposer.
Au printemps 1304, on signale une nouvelle armée turque à Éphèse. Appelés sur place, les Catalans engagèrent le combat et obtinrent une nouvelle victoire. Puis, ils reçurent 1000 soldats en renfort, arrivés avec le Catalan Rocafort, leur chef. Tous ensemble, ils poursuivirent les Turcs jusqu'en Arménie, à Toros, où les forces turques s'étaient concentrées. Malgré le surnombre des troupes de l'islam, les almogavares éparpillèrent l'ennemi.
Cette victoire marque la plus lointaine victoire des Catalans : ils étaient bien au-delà du pourtour méditerranéen où ils excellaient habituellement.
Dégradation des relations
Mais à leur retour, les soldats eurent une mauvaise surprise : Manisa était fermée. La petite garnison avait été massacrée par les habitants, car les Catalans s'étaient trop mal tenus. Alors qu'ils allaient à nouveau attaquer la ville, mais cette fois pour leur propre compte, ils reçurent un message de Michel IX, fils d'Andronic, qui les rappelait à Edirne pour lutter contre les Bulgares cette fois.
Le trajet jusqu'à là est long ; les Catalans se vengent de Manisa en pillant des villages sur la route. La réputation d'inflexibilité des almogavares se répand, mais également le sentiment d'injustice. Lorsqu'ils arrivent à Edirne, Michel IX les informe qu'il a signé un traité de paix avec les Bulgares, il n'y a donc plus lieu d'attaquer qui que ce soit. Les Catalans vont alors se reposer sur la presqu'île de Gallipoli.
Et là, nouvelle surprise : la solde promise par Andronic n'est pas payée. Devant l'affront, les almogavares se préparent à attaquer Byzance. Devant la menace, Andronic cède et leur laisse l'Asie Mineure. Un pacte est passé et les almogavares fondent un nouveau royaume, celui d'Asie, qui vient en supplément de celui de Valence, de Corse, de Sardaigne, etc.
Un nouvel événement survient : Michel IX fait assassiner Roger de Flor, le chef de l'armée. Il s'empare de Gallipoli par surprise en avril 1306. Ne pouvant laisser les choses en l'état, les Catalans récupèrent la ville et s'emparent de toute la presqu'île qu'ils dévalisent méthodiquement. Elle va alors se vider en un clin d'œil et, rapidement, plus aucun Byzantin n'y vit. Michel IX fait assiéger Gallipoli pour tenter de les en déloger, mais les almogavares font une sortie et parviennent à les mettre en fuite. Ils les poursuivent et bientôt s'emparent de la quasi-totalité de l'empire byzantin, qu'ils pillent, marquant ainsi la chute de cet empire.
Quand le Parthénon était catalan...
En 1309, ils partent en Macédoine, puis ce sera la Thessalie et Delphes, où ils s'arrêteront. Mais les Catalans avaient besoin d'un employeur, et curieusement ce sera Charles de Valois, un Français, le frère de Philippe le Bel. Celui-ci cherche à se constituer un royaume. L'armée se remet donc en route et prend peu à peu les terres grecques. Mais au moment de la prise de possession de Charles de Valois de son nouveau royaume, il refuse de payer et lance une armée française contre eux. La bataille aura lieu le 15 août 1311 au lac Copaïs, et ce fut une victoire catalane. Désormais maître de la Grèce, le fils de Frédéric III (roi de Sicile) devient duc d'Athènes. Les principales villes catalanes sont Athènes, Livadia et Thèbes.
Par la suite, les almogavares ne bougeront plus, ils arrêteront leurs conquêtes et le duché d'Athènes tombera en 1388 aux mains des villes de Florence et de Gênes, marquant la chute de cet étrange royaume catalan au bout du monde connu !
Histoire politique du royaume (1276-1344)
L'histoire du royaume de Majorque est courte, mais intense. Obligé de faire des choix face à ses puissants voisins, il subit l'inévitable dérive qui le mena à son extinction.
Jacques II de Majorque (1276-1311)
Les rapports entre Pierre III d'Aragon, l'aîné, et Jacques Ier de Majorque, le cadet, tous deux fils de Jacques Ier le Conquérant, furent toujours tendus. Le roi d'Aragon voyait les terres de son frère comme une verrue dans les siennes, tandis que le roi de Majorque y voyait une entité cohérente.
Voir aussi : Généalogie des rois d'Aragon et de Majorque
Mais les deux royaumes manquaient d'équilibre, Majorque étant beaucoup plus petit que son voisin. Jacques II de Majorque se vit donc contraint, en 1278, de prêter serment au roi d'Aragon Pierre III, le plaçant dans une situation de vassalité vis-à-vis de son frère. Un exemple de cette vassalité réside dans le fait que le roi d'Aragon imposa le mariage du fils cadet de Jacques Ier, Frédéric III de Sicile, avec la fille de Charles d'Anjou, ceci dans le but de faire arrêter les conflits entre les maisons d'Aragon et d'Anjou.
Le 10 novembre 1285, Pierre III d'Aragon décède. Son fils Alphonse III d'Aragon monte sur le trône et poursuit la politique de son père, qui visait à récupérer par la force le royaume de Majorque. Il faut dire que cette année-là, suite aux Vêpres siciliennes, le pape ordonna une croisade contre l'Aragon, croisade organisée par le roi de France. Pris entre deux feux, Jacques II de Majorque choisit le parti de la coalition et autorisa les troupes françaises à passer sur son territoire. Mais la vindicte des habitants fut plus grande et l'armée s'embourba un temps avant de pouvoir franchir les Pyrénées, avec déjà pas mal de pertes. Ainsi, lorsque les troupes françaises, défaites (le roi de France étant mort à Perpignan à son retour), quittèrent le Roussillon, Alphonse III ne se priva pas de l'envahir. La légendaire fuite de Jacques II de Majorque par les égouts du palais des rois de Majorque date de cette époque.
En même temps, Alphonse III organise une expédition contre l'île de Majorque qui se soldera par un succès. Perpignan prise, il repart à Barcelone, laissant Jacques II de Majorque revenir dans sa capitale. Ce dernier parviendra à libérer le Roussillon, mais la Cerdagne resta aragonaise, ainsi que les îles Baléares.
À la mort de son père en 1291, c'est Jacques II qui prit la couronne d'Aragon. Il fut le premier à ne pas suivre l'effort de guerre contre son voisin, effort pourtant initié par son père et grand-père. Jacques II d'Aragon conserva toutefois l'île de Majorque, obligeant son rival à vivre dans son palais de Perpignan.
En 1301, le roi de Majorque autorisa la construction de la quatrième église de Perpignan, La Réal. Elle prit ce nom car elle était face à son palais. Un épisode militaire faillit avoir lieu en Capcir quelques années plus tard, en 1304. Il faut savoir que le comte de Foix devait rendre hommage au roi d'Aragon pour le Donnezan, une terre située entre Narbonne et Carcassonne, et ce depuis l'épopée cathare. Or, devant les difficultés du roi de Majorque, il tenta de récupérer sa vassalité et monta une petite armée qui prit position sur le Capcir, exactement à Formiguère, Puyvalador, Creu (hameau au pied du col du même nom) et en Cerdagne à Evol, Estavar et Carol. Tous ces villages étaient des biens de Guillem de So, vicomte d'Evol, son vassal. La guerre fut évitée grâce à l'arbitrage énoncé en 1304 par d'une part le vicomte de Narbonne (représentant de Gaston de Foix) et d'autre part Pierre de Fenouillet (représentant du roi). Cet accord stipulait que le Donnezan restait sous la tutelle du comte de Foix et que celui-ci s'engageait à rester fidèle à ses engagements envers le roi. Il fixa également une frontière définitive entre Donnezan et Capcir : (d'Est en Ouest) d'Anglars à Canolera, le col de Marrana, du serrat jusqu'à l'Aude, Belfumats, le col d'Ares puis le long de la ligne de partage des eaux.
C'est en 1311 que Jacques II décéda, exactement le 29 mai. Il laissera le souvenir d'un roi qui tenta toute sa vie de se défendre contre plus fort que lui.
Le règne de Sanche Ier de Majorque (1311-1324)
Successeur sur le trône de Majorque, Sanche Ier, son fils, reçut une proposition de paix de Jacques II d'Aragon. Blasé de part et d'autre de cette guerre fratricide, ils signèrent un traité permettant à Sanche de récupérer les îles Baléares.
Point culminant de la paix retrouvée, la conquête de la Sardaigne en 1323 fut effectuée en partie avec des troupes du roi de Majorque. Il faut dire que le roi de Sardaigne, Mariano III, était mort sans enfant légitime. Son fils naturel, Hugues, n'était pas reconnu par la population, aussi les habitants appelèrent-ils à l'aide le roi d'Aragon, ce qui explique la prise de l'île par les armes.
Sanche Ier lancera de grandes constructions : la cathédrale de Perpignan, le Campo Santo et divers autres bâtiments importants de la ville. Atteint d'asthme, il se reposait régulièrement dans son château de Formiguères en été pour échapper aux fortes chaleurs. Il y décéda le 4 septembre 1324. Son corps fut enterré à Saint-Jean-le-Vieux en attendant la fin de la construction de la cathédrale, mais au moment du transfert, il ne fut jamais retrouvé.
Le règne de Jacques III de Majorque (1324-1344)
Sanche n'ayant pas de fils légitime, il confia le pouvoir au fils de son frère Ferran, Jacques. Ferran fut son tuteur (décidé par un codicille pris à Formiguères) car il n'avait que 9 ans au moment de la mort de Sanche. Jacques III devient donc roi de Majorque. Il se marie avec la fille du roi d'Aragon afin de participer à l'effort de paix entre les deux royaumes. Il poursuivit sa politique d'expansion de la ville de Perpignan. C'est essentiellement durant ces années que la capitale du royaume prit une considérable expansion. Les artisans se multiplièrent, augmentant ainsi l'économie de la ville. Le commerce le plus florissant était celui des drapiers, qui devinrent la spécialité de Perpignan.
Face à lui, Jacques II d'Aragon décède. Son successeur, Alphonse IV d'Aragon, prend le pouvoir, mais poursuit lui aussi la politique de paix de son prédécesseur.
Mais à sa mort en 1336, son fils Pierre IV reprend la guerre. Surnommé tour à tour "le Cérémonieux" ou "le Cruel", il organise une expédition de conquête de son voisin, motivée essentiellement par le fait que Jacques III de Majorque s'était allié avec son ancien ennemi, le roi de France, ce dernier toujours soucieux de se venger de l'affront fait d'une part au cours de la croisade de 1285, et d'autre part de l'attitude du roi de Sicile, fils de Jacques II de Majorque, envers Charles de Valois. Ainsi, les troupes françaises entrèrent en Roussillon, en Cerdagne et dans la ville de Montpellier, tandis que Pierre IV d'Aragon se chargea des îles Baléares, plus à l'aise sur l'eau que son voisin.
En 1344, le royaume de Majorque est définitivement conquis. Le 16 juillet de cette année, Jacques III de Majorque, qui s'était un temps enfui chez son vassal, le comte de Foix, se voit destitué de toutes ses terres. Mais ce n'est pas pour autant que la guerre fut finie.
La chute du royaume de Majorque
Tentative de reconquête et conséquences (1344-1369)
En 1344, la situation n'était pas brillante pour le Roussillon : principale partie continentale du Royaume de Majorque, conquis par les Français, son roi Jacques III de Majorque est contraint d'accepter la défaite. Dans toute la région, les seigneurs pro- et anti-français s'opposent, les premières distributions de récompenses et de châtiments tombent.
Le Soulèvement du Conflent
Le sort de Jacques III fut scellé à Barcelone, où il fut décidé de lui laisser son fief de Montpellier. Mais il refusa et s’enfuit chez un de ses amis, le comte de Foix, avec une quarantaine de ses chevaliers. Il revendit la ville de Montpellier à la France le 18 avril 1349 et put ainsi se reconstituer une armée et une flotte. En 1347, il attaqua Pierre IV d’Aragon et envahit le Conflent. Certaines villes l’accueillirent à bras ouverts, comme Vinça, où il laissa une garnison, puis se dirigea vers Ria pour y installer son camp.
Mais le gouverneur du Conflent, à la tête des partisans de Pierre IV, réussit à entrer dans Vinça. Effrayés, les habitants s’enfuirent en traversant la Têt, mais la plupart se noyèrent à cause du gros débit de la rivière gonflée par un orage récent. Ce fut une catastrophe pour la ville.
Tandis que les Aragonais poursuivent leur avance jusqu’à Codalet, Jacques III se précipite en Cerdagne pour empêcher les renforts d’intervenir. Pendant ce temps, Pauquet de Bellcastell, au service de Pierre IV, installa des machines de guerre au pied du château de Ria pour le faire céder. Prades et les villages environnants, dont la population était restée fidèle à Jacques III, sont démantelés.
Ce dernier, après être revenu à Ria, y laissa des troupes ainsi que dans quelques places fortes de la Cerdagne, puis partit se réfugier en France. De son côté, Pierre IV d'Aragon vint dans le Conflent pour diriger les opérations lui-même, mais regagna Perpignan dès fin juin 1347. En 1349, un vent de panique gagna à nouveau le Conflent, le bruit courait que Jacques de Montpellier prévoyait de conquérir la région à nouveau. Le 22 août 1349, le viguier Aymeric de La Via reçut une lettre du gouverneur Guillaume de Bellera.
Nous avons ordonné que vous appeliez les prohomens que vous jugerez à propos, avec lesquels et par le conseil desquels, vous ferez mettre en bon état les forteresses du Conflent qui, d’après votre connaissance, pourraient être occupées et défendues. Quant à la robe (meubles et biens de toutes sortes) et aux vivres des autres lieux qui ne pourraient pas se défendre, faites-les mettre dans les dites forteresses qui seraient en bon état.
Toute cette agitation fut superflue puisque Jacques III concentra ses efforts sur l’île de Majorque où il succomba dès son arrivée, le 25 octobre 1349. Toutes les villes du Conflent durent alors prêter serment et reconnaître la légitimité de Pierre IV le Cérémonieux. Cette cérémonie fut appelée "l’Edit d’Union".
Seconde tentative de soulèvement
Le 10 février 1369, le roi d’Aragon écrivit une lettre de Barcelone au procureur royal Ermengau Marti, qui aura un impact assez important.
A cause des ruses, stratagèmes des compagnies et encore de l’Infant de Majorque, avons ordonné et voulons que vous tous alliez personnellement et voyiez tous nos châteaux, des comtés du Roussillon et de Cerdagne, et reconnaissiez avec les inventaires faits des armes si elles y sont toutes et combien manquent. Et après avoir reconnu celles qui y sont, de nous dire combien seraient nécessaires. Et faites-nous savoir clairement et distinctement ce qu’il faudrait dans les dits châteaux et combien coûteraient les engins, en signalant les réparations nécessaires. Informez les châtelains des dits châteaux, qu’ils soient diligents et soigneux de les garder de façon que les ennemis ne puissent les escalader.
Ces états concernèrent les châteaux de Salses, de Tautavel, de Força-Réal, de Bellegarde, de Prats de Mollo, de Rodès et Conat, de Formiguères et enfin de Puyvalador. Début août 1374, l’infant Jacques III de Majorque (rien à voir avec le royaume, définitivement abandonné), prétendant à la couronne d’Aragon, réussit à enrôler en Languedoc une armée de 6000 hommes. Il pénétra aussitôt dans le Roussillon, qu’il traversa pour remonter la vallée de la Têt. En passant par le Conflent, il croisa de nombreux partisans, des personnes opposées à la politique de l’Aragon.
C’est ainsi que Vinça, puis Prades l’accueillirent à bras ouverts. Dans cette ville, la faible garnison du roi d’Aragon ne put empêcher les habitants de rejoindre les troupes de l’Infant. Ces dernières traversèrent le Conflent en direction de la Cerdagne. Mais cette nouvelle insurrection fut rapidement matée et le vicomte d’Evol eut la terrible charge de punir les rebelles. Pierre IV le Cérémonieux fut intraitable et les habitants faillirent tous mourir assassinés. En fait, Prades eut pour punition de fournir 20 000 sous. Pour 150 habitants, cette peine fut particulièrement douloureuse à purger. La ville de Villefranche eut plus de chance : elle n’eut à fournir qu’un "canon chargé avec des pierres d’un demi quintal".
C'est donc en 1344, après avoir vu trois rois de Majorque, que le royaume d'Aragon reprit militairement le royaume de Majorque, vu comme une verrue dans les terres aragonaises. Perpignan va alors être délaissée, ce fut la fin de sa puissance politique. La paix revenue, la vie de la cour reprit ses droits. Il fut décidé que les infantes Constance et Jeanne résideraient désormais à Perpignan.
La suite de l'histoire du Roussillon concerne l'époque du développement de la Catalogne, durant les XIVe et XVe siècles.