Si l'on demande à un ancien Catalan quelles étaient les activités locales, il y a de grandes chances qu'il vous cite la fabrication de tissus. Cette activité remonte à une époque très ancienne, puisque durant tout le Moyen Âge, la confection de draps en laine permit à la ville de Perpignan, puis à toute la région, de vendre des produits de qualité dans tout le bassin méditerranéen. Après l'annexion du Roussillon par la France, la soie remplaça peu à peu la laine.
Genèse de l'industrie du tissu : la laine
Cette industrie débuta vers 1100, mais se développa véritablement deux siècles plus tard. Au début du XIIIe siècle, les Flandres dominaient le marché européen de la fabrication de tissus. En France, les principales foires aux tissus se tenaient en Champagne. Les Catalans faisaient des affaires avec les Flamands : ils leur achetaient du tissu brut, le retravaillaient, puis le revendaient, lorsqu'ils n'alimentaient pas le marché catalan. Ainsi, les produits finis repartaient souvent pour les Flandres, via la Champagne.
Or, au XIIIe siècle, les Perpignanais commencèrent à fabriquer eux-mêmes le tissu brut. Cette nouvelle activité développa l'élevage de moutons et multiplia les emplois dans toute la région. Le succès fut tel que les foires champenoises perdirent leur utilité et disparurent. Les tissus étaient directement vendus par les marchands catalans dans les comptoirs qu'ils avaient établis un peu partout autour de la Méditerranée. Face à ce succès, le roi d'Aragon protégea l'industrie. Par exemple, le 20 juin 1249, il déclara qu'il était interdit de saisir les ateliers de tissage pour payer des créances impayées.
Les tissus fabriqués étaient composés de lin, de laine ou de velours. Ils se reconnaissaient facilement grâce à leurs couleurs vives et chaudes (jaune, rouge), sur des fonds uniformes barrés de rayures de dimensions et de couleurs variées. Souvent, une même succession de couleurs revenait tout au long du tissu. Pour éviter la contrefaçon, un label fut créé : chaque tissu catalan était estampillé d'une marque de fabrique authentifiant son origine. Toute tentative de fraude était sévèrement punie.
En 1285, les Français partirent en croisade contre les Catalans du royaume d'Aragon, suite à la conquête de la Sicile. Le roi de Majorque laissa les troupes françaises traverser le Roussillon, par crainte de représailles. Cette croisade fut un échec (le roi de France Philippe III mourut à Perpignan). En représailles, les Français envahirent le Roussillon, ce qui porta un coup dur aux tisserands catalans. Les taxes d'exportation vers la France se multiplièrent, obligeant les artisans à accroître leur production pour survivre. Lorsque la laine venait à manquer, elle était achetée en Afrique du Nord ou en Angleterre, pour ses qualités supérieures. En 1304, les îles Baléares se lancèrent également dans la production, sous la tutelle de Perpignanais avisés.
Développement de la soie
En parallèle de l'élevage de moutons pour la laine, la production de soie commença à émerger. Le long des chemins, des mûriers furent plantés pour nourrir les vers à soie. À la fin du XVIe siècle, l'élevage des vers à soie était une activité locale encore modeste, mais bien présente. Durant la première moitié du XVIIe siècle, Perpignan comptait une confrérie des veloutiers et tordeurs de soie, qui obtint en 1644 la taxation des soies importées à hauteur de 6 deniers la canne.
Le milieu du XVIIe siècle fut marqué par l'annexion du Roussillon par la France, après la prise de Perpignan. Les ateliers des tisserands perpignanais furent incendiés, provoquant l'arrêt de la production de tissus en laine. Pour s'adapter, les tisserands se tournèrent vers la fabrication de draps de soie, plus demandés car considérés comme des produits de luxe. Dès 1667, les nouveaux ateliers produisaient suffisamment pour approvisionner principalement le marché italien.
Au début du XVIIIe siècle, la production se diversifia, notamment avec la fabrication de bas de soie, particulièrement délicats à réaliser. Les artisans maîtrisèrent également les techniques complexes de teinture pour garantir la durabilité des couleurs.
Déclin de cette industrie
L'industrie textile du Roussillon commença à décliner à partir de 1735. La demande diminua fortement, tandis que des droits protectionnistes dans les marchés traditionnels compliquèrent la situation. Peu à peu, les tisserands cessèrent leurs activités. Au milieu du XVIIIe siècle (1747), les dernières échoppes fermèrent, marquant la fin d'une période clé de l'histoire régionale.
De nos jours, le tissu catalan demeure recherché. Bien que sa fabrication ait majoritairement lieu en Catalogne Sud, il reste culturellement attaché au Roussillon, en particulier au Vallespir, où se trouvent les dernières fabriques.
Les artisans
Les différents acteurs de la production étaient : le fileur (« ordidor »), le tisserand (« tixador »), le pareur (« parayre ») et le teinturier. Ce dernier utilisait des plantes tinctoriales comme la garance, le pastel et la gaude, permettant de produire une large palette de couleurs. Ces plantes étaient cultivées dans divers lieux : Horta Vella de Malloles, Horta Nova du Vernet, Saint-Féliu, Millas, Corneilla, Pézilla et Ille-sur-Têt. Afin de soutenir cette industrie, le roi exonéra ces cultures d'impôts.
Les ateliers se concentraient essentiellement à Perpignan, mais on en trouvait aussi au Vernet (1229), à Saint-Estève (1283), à Baho (1283), à Millas (1294), à Villefranche-de-Conflent, à Prats-de-Mollo et dans ses environs.
Perpignan et ses parayres
En 1330, Perpignan comptait environ 400 pareurs, installés dans le quartier de la Loge. L'histoire a conservé des noms de rues tels que : rue des Fabriques Grandes, rue des Fabriques Couvertes, rue d'En Nebot, rue d'En Nadal, rue des Cardeurs, etc.