Histoire
L'histoire de l'abbaye Saint-Génis-des-Fontaines est étroitement liée à celle du Roussillon. Elle commence très tôt, dès le IXe siècle.
Nous sommes en 819. Les Sarrasins ont été repoussés au-delà des Pyrénées par Charlemagne depuis seulement huit ans. Sous l'impulsion du roi, des religieux s’implantent sur ces terres nouvellement conquises et presque désertifiées. Ce sont des moines bénédictins qui décident de fonder une abbaye au pied des Albères. Leur chef local, un certain Sentimir, rattacha dès sa fondation l’abbaye à celle de Cluny. Cette affiliation à Cluny marquait un rattachement aux grands courants réformateurs de l'époque, visant à renouveler la spiritualité et à renforcer l’autorité religieuse. Malheureusement, elle fut détruite à la fin du premier millénaire, et les moines durent s’atteler à la tâche pour la reconstruire. Sa renaissance eut lieu en 981, et c’est cette abbaye que nous admirons encore aujourd’hui.
L’église Saint-Michel fut initialement construite au IXe siècle, mais elle fut détruite et reconstruite aux XIIe et XIIIe siècles. Au XIIe siècle, la charpente en bois fut remplacée par une voûte en pierre, un changement qui reflète les évolutions architecturales et les ressources disponibles. Cette abbaye est célèbre dans le monde entier pour le linteau de la porte d’entrée de l’église abbatiale. Daté de 1020 (ce qui en fait l’une des premières manifestations de l’art roman dans la région), il se distingue par sa grande finesse. Ce linteau a fait école, attirant des tailleurs de pierre venus de loin pour s’initier à cet art. Taillé dans le marbre blanc de Céret, il représente le Christ dans une mandorle perlée, soutenu par deux archanges et encadré par six figures d’apôtres, une composition typique de l’art roman primitif.
En l’an 1000, le monastère accueillit un synode, renforçant son importance spirituelle et régionale. Cependant, ce n’est qu’en 1153 que l’église abbatiale fut consacrée, marquant un moment fort de son histoire. En 1507, le pape Jules II rattacha l’abbaye de Saint-Génis à celle de Montserrat, en Catalogne, marquant le début de son déclin. À cette époque, il est probable qu’elle avait déjà perdu une grande partie de ses moines, et son rôle religieux s’amenuisait progressivement. En 1796, à la suite de la Révolution française, le monastère fut vendu comme bien national et transformé en exploitation agricole.
Entre 1922 et 1924, deux des trois héritières vendirent leurs parts à un antiquaire parisien, M. Gouvert, qui acheta le cloître et le fit démanteler. Les trois quarts des colonnes et des chapiteaux furent expédiés au château des Mesnuls, dans les Yvelines, tandis que trois colonnes et deux arcatures furent exposées au Louvre, et trois piles centrales envoyées à Philadelphie. Ce démantèlement entraîna une perte patrimoniale importante, provoquant des protestations de la part d’historiens et d’amateurs d’art.
Le quart restant, situé dans la partie sud-est, fut classé monument historique, garantissant sa conservation sur place. Entre 1986 et 1988, toutes les pierres restées en France furent récupérées et réinstallées (le château des Mesnuls rendit sa part et le Louvre prêta ses pièces). En 1988, le cloître reconstitué fut inauguré, restituant à l’abbaye une partie de sa splendeur d’antan. Depuis, d’importants travaux de restauration ont été entrepris, mettant au jour des parties jusqu’alors méconnues, notamment dans le cloître et l’église. En 1997, un jardin fut aménagé, redonnant à l’abbaye un aspect proche de son usage initial.
Signalons enfin qu’une fontaine du XIIIe siècle, qui se trouvait à l’origine dans le cloître, n’a pas suivi le même destin que le reste de l’édifice. Aujourd’hui, elle se trouve au "Cloisters Museum", à New York. Un bien long voyage pour une fontaine catalane ! Cet élément témoigne de l’intérêt international porté à ce site, dont l’histoire traverse les frontières et les époques.