Des années 30 aux années 50, Perpignan a vu son urbanisme radicalement changer sous l'influence d'architectes novateurs, en phase avec leur époque et leurs cultures locales. Le fer de lance de ce mouvement a été porté par plusieurs architectes tels qu'Alfred Joffre, Raoul Castan ou Mas-Chancel, mais c'est Férid Muchir, dont le nom est aujourd'hui oublié, qui est peut-être le plus emblématique. Le fait qu'il soit oublié constitue une grande injustice lorsqu'on considère l'apport qu'il a fait à l'architecture de Perpignan.
Férid Muchir est né d'un père diplomate persan de Constantinople et d'une mère propriétaire d'un domaine viticole à Rivesaltes. Catalan de naissance et de cœur, Férid part faire des études aux Arts-Décoratifs de Paris. Le courant majeur dans ce domaine à l'époque était caractérisé par des lignes droites, longues et épurées, un style minimaliste que Le Corbusier adoptera. Lorsqu'il revient à Perpignan en 1933, Férid s'associe avec son oncle Alfred Joffre dans un cabinet d'architecture, mais il le quitte en 1936 pour avoir son indépendance. Commence alors pour lui une carrière qui aboutira à la transformation d'une partie de Perpignan.
L'une de ses constructions les plus emblématiques est le pont Arago, à Perpignan. Si on l'observe un peu, on retrouve dans ses lignes épurées et ses motifs géométriques à angles droits les caractéristiques du mouvement Art-Déco en vogue dans les années 30. Pour les bâtiments, Muchir prend en compte les caractéristiques de la région. Ses maisons, construites plutôt dans les années 50 à la fin de sa carrière, sont faites de grandes pièces baignées par le soleil à travers de larges baies vitrées. Le quartier Muchir, qui a vu le jour à Canet et qui a été détruit entre-temps, offrait à la vue des passants des maisons individuelles en bois rectangulaires, aux arêtes saillantes, aux vitres larges et aux murs percés de nombreux oculus. Ces maisons étaient quasiment toutes identiques. Son style était reconnaissable par les escaliers larges aux marches blanches et des terrasses spacieuses. En 1956, il construit la Villa Familiale, désormais un bâtiment inscrit aux Monuments Historiques (depuis 2015). Mais Perpignan est la ville dans laquelle il a le plus travaillé. Dans le quartier des remparts, il conçoit de nombreux bâtiments, essentiellement des immeubles, qui présentent les caractéristiques du style Art-Déco, un style gothique modernisé. Ses confrères travaillaient également sur ce style, ce qui fait que plusieurs quartiers de Perpignan ont été réalisés dans cette veine. Il faut dire que la ville s'était débarrassée de ses encombrants remparts dans les années 1900, et cette place récupérée en plein centre-ville a attisé pendant 30 ans la convoitise de toute personne ayant suffisamment d'argent pour entreprendre un projet immobilier. Les propriétaires de domaines agricoles étaient les plus en vue, car ils disposaient de liquidités pour faire construire des immeubles au centre-ville. C'est de cette époque, entre les années 1910 et 1930, que datent les grandes avenues perpignanaises comme le boulevard Clémenceau ou le boulevard des Pyrénées. La ville s'est largement transformée sur le plan urbanistique à cette époque.
Pour en revenir à Férid Muchir, on peut citer, pêle-mêle, quelques-unes de ses réalisations : l'aérodrome de la Llabanère, qui se trouve de nos jours avenue du Haut-Vernet, entre Perpignan et Bompas ; la maison Bausil, dite aussi la maison rouge, qui prend partiellement le haut d'une tour des remparts ; le siège des Courriers Catalans, à Saint-Assiscle ; la gare maritime de Port-Vendres ; et la rénovation du Palmarium, pour laquelle il utilise de la poussière de Cayrou, entre autres.