Histoire
Origine du village
Alors que le plateau cerdan a livré de nombreuses preuves d'habitats néolithiques, la vallée de la Têt est beaucoup plus pauvre en vestiges préhistoriques. En raison de son relief encaissé, elle offrait peu de conditions favorables à la sédentarisation. Elle fut probablement utilisée uniquement comme lieu de passage, or les populations préhistoriques se déplaçaient rarement sur de longues distances.
Il faut attendre l’époque romaine pour trouver des traces d’habitats dans la vallée. Les Romains sont à l’origine de la première voie de communication entre la plaine et la Cerdagne, la Via Confluentana. Cette voie facilita l'installation durable de colons romains dans la région. Thuès trouve son origine dans cette période. À la chute de l’Empire romain, les Wisigoths prennent possession de la région, mais aucune trace tangible de leur présence n’a été retrouvée dans la vallée, suggérant qu’ils ne s’y sont pas véritablement installés.
Au IXe siècle, après la victoire des Carolingiens sur les Sarrasins en 811, ce sont d’abord les moines qui s’implantent, fondant des monastères et de nombreuses chapelles isolées afin de propager la foi chrétienne. L'abbaye de Saint-Michel de Cuxa, déjà influente, joue un rôle important dans l’aménagement de sites comme Saint-Romain, Thuès et Trèsballs. En 952, un document mentionne pour la première fois les villages de Trèsballs et de Thuès, ainsi que le mas de l’Albaret, tous possessions de l’abbaye.
Thuès est alors cité sous le nom de son église, Saint-Génis, et Trèsballs sous celui de Saint-André. L’Albaret était un grand mas regroupant plusieurs familles, situé dans la forêt de Campilles, plus loin dans la vallée de la Carença. Il disparaît au cours du XIIe ou XIIIe siècle. Saint-Romain avait déjà cessé d’exister à cette époque, sans quoi il aurait été mentionné parmi les possessions de l’abbaye.
Saint-Romain
Saint-Romain est un village aujourd’hui totalement disparu, probablement dès le début du Moyen Âge. Le seul indice de son existence réside dans son nom chrétien, témoignage d’une occupation carolingienne. Il se situait sur la rive droite de la Têt, à environ un kilomètre de Thuès. Le pont Séjourné, par lequel passe aujourd’hui le petit train jaune, a été construit juste au-dessus de son ancien emplacement. Le dépeuplement de Saint-Romain s’explique par un transfert de population vers le village de Thuès.
Thuès
Peuplé dès l’époque romaine, Thuès se développe vraiment au XIIe siècle, à la suite du déclin de Saint-Romain, puis à nouveau à partir du XVIe siècle après la disparition progressive de Trèsballs. Le village est mentionné au XIVe siècle, époque où le roi de Majorque détenait des droits sur la forêt de Thuès. Pierre IV avait accordé à des particuliers de Barcelone l’“forestatge del bosch de Querença” (droit d’exploitation forestière dans le bois de la Carença), ainsi que les revenus du “moli serrador del dit bosch” (scierie du même bois).
En 1399, l’abbé de Cuxa concède à Pons Descatllar une forge située à Thuès, avec le droit de charbonnage dans ses bois. En novembre 1440, conjointement avec le roi d’Aragon, co-seigneur de Thuès, il lui confirme la possession de ces bois, avec la faculté d’y installer une scierie.
Thuès était donc une copropriété seigneuriale partagée entre l’abbaye de Cuxa et la monarchie. La forge sera ensuite cédée à la famille Bertran de Catllar, puis revendue le 4 octobre 1577 à don Thomas de Banyuls. Elle restera propriété des seigneurs de Nyer jusqu’à la Révolution, et constituera l’une des forges les plus importantes de la région.
En 1613, François de Banyuls, héritier de Thomas, possède une masade à Trèsballs, le moulin banal de Thuès, ainsi que des prairies. Vers 1630, il cède le martinet (petite forge) à Joseph Géli. À Thuès, la dîme des fruits était prélevée en gerbe au dixième. Le 1er mai 1759, les fermiers de l’abbaye de Cuxa sous-afferment pour 4 ans, contre une rente annuelle de 480 livres, l’ensemble des dîmes et droits seigneuriaux du lieu de Thuès-Entre-Valls. De 1781 à 1788, ces revenus chutent à seulement 250 livres.
La Révolution entraîne la nationalisation des biens de l’abbaye. La famille de Banyuls est spoliée, mais en 1817, Raymond de Banyuls obtient restitution d’une montagne boisée dite “des gorgs de Quérança”, d’une superficie de 300 hectares. Toutefois, lorsque la commune de Thuès revendique la propriété des forêts, un arrêt de la cour royale du 1er août 1834 tranche en faveur de l’État, accordant à la commune et au marquis uniquement un droit d’usage. Un jugement du 17 juillet 1837 déboute également la commune de Souanyas de ses prétentions sur ces forêts.
Le village ne percevant aucun revenu direct, les consuls n’étaient chargés que de la répartition des impôts. En 1780, la capitation et les autres taxes s’élevaient à 300 livres. En 1784, il fallait répartir 78 livres et 2 sols entre 29 contribuables. En 1791, la charge s’élevait à 381 livres et 2 sols, dont la moitié était payée par trois privilégiés :
- Marquis de Montferrer : 177 livres
- Philibert Bordes : 33 livres
- Ruffine Cassoli de Rodez : 15 livres
- Le curé : 2 livres 11 sols
Le reste était réparti entre 33 autres contribuables. Le curé de Thuès desservait aussi les villages de Llar et, après la Révolution, celui de Canaveilles.
L’église de Thuès, dédiée à Saint-Génis, est à nef unique, voûtée en berceau. Son abside, autrefois semi-circulaire, a été modifiée au XIIIe siècle pour devenir plate. Une seconde nef fut ensuite ajoutée, séparée de la première par deux arcatures reposant sur un pilier central massif. À cette époque, de nombreux décors peints furent réalisés, dont quelques traces subsistent aujourd’hui.
Trèsballs
Trèsballs était situé plus au sud, sur les hauteurs. Comme beaucoup de villages en Conflent, il serait né du repli des populations fuyant les invasions barbares, puis sarrasines du premier millénaire. Isolé, le village vivait en autarcie et était principalement habité par des paysans.
En 1737, Trèsballs ne comptait plus que deux familles agricoles. Il subsistait huit maisons, mais la majorité des habitants s’étaient déjà installés à Thuès. Des toponymes tels que le "ravin de la tour", "als meners", ou encore "al pla de la cella", témoignent de l’ancienne fortification du site. La "Cella" était une petite enceinte défensive. Les habitants avaient également construit un aqueduc pour acheminer l’eau de la source "del ciré" (des cerisiers) jusqu’au cœur du village.
Au XVIIIe siècle, l’isolement finit par provoquer l’abandon complet du site au profit de Thuès, mieux situé sur les voies de communication. Trèsballs disparaît alors définitivement.
La chapelle Saint-Jean, bien que très endommagée, est encore visible aujourd’hui. Elle présente une nef unique, voûtée en berceau brisé, une abside semi-circulaire et un clocher-tour de plan carré.