Les mines de fer


Genèse de l'exploitation minière du Canigou

Géologiquement, le massif du Canigou est riche en fer. Dès la protohistoire, vers -2200 av. J.-C., les premiers habitants de la région commencèrent à récupérer et à traiter ce minerai. Cependant, les méthodes utilisées à cette époque étaient très rudimentaires, reposant sur des techniques simples de récupération du fer, comme la réduction du minerai dans des foyers ouverts. L'exploitation minière à cette époque ne s'effectuait pas à grande échelle, mais plutôt à travers une activité artisanale et locale.

Ce n'est qu'à partir de -100, avec la présence romaine, que l'exploitation du fer prit une véritable ampleur. Les Romains, experts dans l'exploitation minière, établirent des sites de traitement dans le massif du Canigou. Ils mirent en place des techniques plus avancées, notamment la construction de forges et de hauts fourneaux primitifs. Ces forges permettaient de purifier le minerai de fer extrait des gisements en montagne. Le fer ainsi traité était ensuite utilisé pour fabriquer des outils agricoles, des armes et des objets du quotidien, et même des éléments de construction pour les infrastructures romaines.

Les forges romaines étaient assez simples dans leur fonctionnement, mais leur efficacité reposait sur des techniques de traitement thermique avancées pour l'époque. Bien que nous n'ayons pas retrouvé de forges intactes, plusieurs sites archéologiques témoignent de la présence de fours servant à la purification du minerai, comme des vestiges de foyers et de matériaux de construction de l'époque. L'exploitation minière du Canigou, bien que relativement modeste comparée à d'autres régions de l'Empire romain, avait une importance stratégique pour les Romains dans la région des Pyrénées.

Après la chute de l'Empire romain et les invasions barbares en 409, les installations de forges furent abandonnées, et les techniques minières connues furent perdues, du moins temporairement. Ce n'est qu'après la reconquête des territoires par Charlemagne, au VIIIe siècle, que l'exploitation reprit timidement dans la région du Vallespir, désormais sous contrôle franc. Toutefois, les conditions d'exploitation restaient difficiles, notamment à cause de l'éloignement des gisements, et il fallait effectuer des trajets sinueux et dangereux pour transporter le minerai vers les villages où des forgerons pouvaient le transformer.

En dépit de ces difficultés, les Francs reprirent l'exploitation minière, mais à une échelle réduite. Les gisements de fer étaient souvent situés dans des zones difficiles d'accès dans la montagne, ce qui limitait la capacité de production. De plus, les techniques de production du fer n'étaient pas encore totalement optimisées, et les forgerons locaux utilisaient des méthodes héritées de la période romaine qui n'avaient pas évolué de manière significative.

Il faudra attendre le XIIe siècle, avec l'amélioration des voies de communication et la construction de routes plus accessibles, pour que l'exploitation minière puisse réellement se développer. Cependant, même à cette époque, les techniques de production restaient encore relativement simples et manuelles, bien qu'elles eussent évolué grâce à l'expérience et à la transmission des savoir-faire au fil des siècles.


L'expansion des Forges

En 1406, le roi d'Aragon Martin l'Humain établit la liberté de recherches en sous-sol et l'exploitation de tous terrains, sous réserve d'indemniser le propriétaire et de verser au roi une redevance équivalente à un dixième de la valeur du minerai extrait. Cette législation, bien que contraignante, constitua le catalyseur de l'expansion industrielle la plus importante des comtés du Roussillon et de Cerdagne jusqu'à l'époque moderne. Cette liberté d'exploitation attira de nombreux mineurs et forgeurs, relançant une activité minière ancienne, mais désormais à grande échelle.

Les villages autour du massif du Canigou reprirent les anciennes mines romaines et en ouvrirent de nouvelles. À l'extrémité nord du Canigou, les mines se trouvaient notamment à Sahorre, Fuilla, Corneilla de Conflent, mais surtout à Baillestavy (mine de la Coume). Plus au sud, la plus grande mine était située à Batère, près de la tour de surveillance du même nom, à plus de 1500 m d'altitude. D'autres gisements étaient également exploités sur les flancs des vallées de Corsavy et de Prats de Mollo.

Le développement de ces mines entraîna la multiplication des forges, dont le modèle standardisé était désigné sous le nom de « Forges Catalanes ». Ces forges utilisaient la force hydraulique pour fonctionner, exploitant les cours d'eau voisins comme moteurs de production. Parmi les rivières qui alimentaient ces forges, on peut citer la Llentilla au nord, la Coumelade, le Riuferrer (dont le nom signifie « Rivière du fer »), et surtout le Tech au sud.

Les forges se trouvaient à Valmanya, Sahorre, Fuilla, Corneilla de Conflent, ainsi qu'à Mosset au nord et Corsavy, Montferrer (qui signifie « Mont du Fer »), La Bastide, Arles-sur-Tech (où deux forges étaient présentes), Le Tech, et Prats de Mollo au sud. Plus au sud encore, on trouvait des forges à Coustouges, Serralongue (notamment à la Fargasse), Lamanère (dont le nom signifie « La Mine ») qui comptait deux forges, et à Saint-Laurent-de-Cerdans, un village qui en abritait quatre. En somme, les forges étaient omniprésentes dans toute la région.

Il est important de noter que le minerai extrait dans les montagnes était également acheminé plus bas dans la vallée, notamment vers les forges de Reynès et de Sorède. Ces sites bénéficiaient d'un accès facilité à des infrastructures de transport, ce qui permettait une meilleure organisation de l'activité minière et forgeronne. La production de fer était non seulement une ressource économique majeure pour la région, mais elle contribua également à la structuration des villages et à leur développement tout au long de la période médiévale.


Effets des mines sur la population

Une forge catalane nécessitait un grand nombre de bras pour fonctionner à plein régime. Ainsi, l'essor de cette activité attira un afflux migratoire important dans les vallées du Canigou, principalement en provenance de la Catalogne Sud, où la proximité linguistique facilitait l'installation. Mais il y eut aussi des immigrés de Gênes et de Sardaigne, qui apportèrent leur savoir-faire métallurgique en travaillant dans les forges locales.

Ce phénomène eut des effets considérables sur la région. L'exploitation du fer contribua au développement des villages, qui se structuraient autour des forges et des mines. Les déplacements entre les villages étaient facilités par un réseau dense de sentiers et de chemins, créés pour l'occasion, qui traversaient les montagnes du Canigou.

Les registres d'état civil témoignent de ces mouvements de population, notamment à travers les mariages entre habitants de villages parfois distants de plus de 30 km. Entre Prats-de-Mollo et Valmanya, les échanges étaient fréquents, les sentiers reliant les mines de Batère, et permettant de franchir les contreforts du Canigou à plus de 1500 mètres d'altitude, entre le Tech et la Têt. Ces relations renforcèrent les liens sociaux et économiques entre les communautés locales.


Les Outils

Une forge catalane était essentiellement constituée d’un four, dont la forme particulière en pyramide tronquée inversée facilitait l'extraction du produit fini. Ces fours étaient faits de pierres réfractaires et partiellement revêtus de plaques de fer pour résister à la chaleur intense. Le mur situé en face de la tuyère, à l'opposé de l'aire de combustion, était appelé « Piec del foc », et c'était le plus épais. Une pièce de fer trouée, les « Porgues », était fixée pour permettre l’insufflation de l'air sous un angle de 35 à 45°, essentielle au bon fonctionnement du four. De part et d'autre, il y avait un mur appelé « Cava », et un autre, le « Lleteirol », qui présentait un trou pour laisser passer les scories.

Le système de soufflerie, appelé « trompe », était particulièrement ingénieux. Un tuyau relié à la tuyère était connecté à un contenant rempli d'air, dans lequel l'eau arrivait par un siphon. Cette eau expulsait l'air contenu dans le réservoir, envoyant un flux d'air comprimé dans le four pour maintenir la combustion.

Le martinet, un poids d'environ 200 kg, s'abattait continuellement sur le fer rougi pour en retirer les scories et le façonner. Une roue hydraulique entraînait une roue dentée, qui à son tour faisait monter et descendre le marteau. Le bois utilisé pour alimenter les feux des forges était du chêne vert, abondant dans les forêts environnantes, garantissant ainsi une source énergétique locale pour cette industrie.


Exportation du procédé dans d'autres régions

Bien que le procédé des forges catalanes soit typiquement associé au Canigou, il s’est rapidement étendu dans d'autres régions. En premier lieu, les forgerons venus du Vallespir ont transplanté leur savoir-faire en Catalogne Sud, où la langue commune facilitait les échanges. Les rattachements successifs du Roussillon à l'Aragon ont renforcé les liens culturels et économiques entre les deux régions.

On retrouve ainsi des forges catalanes dans le Ripollès et la Garrotxa, qui bordent le Vallespir au sud des Pyrénées, à Camprodon, Queralbs, Albanya, et même jusqu'à Besalù.

Au fil des siècles, le procédé se diffuse au-delà des Pyrénées. À Dijon, on a retrouvé des forges, certaines appartenant à la noblesse et à l'église, témoignant de l’élargissement du procédé à d’autres classes sociales et géographiques. On en trouve également dans le Bas-Rhin et en Basse-Normandie jusqu’au XVIIIe siècle. Par exemple, une forge catalane a fonctionné sur l’Orne jusqu’en 1772, et a poursuivi son activité après la Révolution, jusqu’en 1839.

Plus près de nous, dans le bassin de l’Ariège, on retrouve des forges catalanes dans les vallées du Lez, d’Alès, du Garbet, de Loumet, et de l’Aude, notamment à Quillan. À Escouloubre, une forge était également présente sur la Lladoune, près de Formiguères, témoignant de l’étendue du procédé.


Déclin de l'exploitation minière

Bien que l'exploitation des mines de fer du Canigou remonte à la protohistoire, elle connut son apogée aux XIVe et XVe siècles, avant de commencer à décliner au XIXe siècle. L’élément majeur du déclin fut l’apparition du haut-fourneau, une invention qui permettait un traitement plus rapide et plus efficace du minerai. Ces forges à grande échelle imposaient la nécessité de grandes quantités de minerai, ce qui n’était plus possible avec les méthodes locales, surtout lorsque les voies de communication s'étaient suffisamment développées.

Ce changement d’échelle et l'amélioration des moyens de transport rendirent l’exploitation minière dans les hautes vallées montagneuses moins viable. La forge du Tech, symbole de cette époque, ferma en 1750, illustrant ce déclin. En 1902, quelques forges résistaient encore à la fermeture, comme celles de Saint-Laurent-de-Cerdans et Valmanya. Cependant, Valmanya ferma définitivement ses portes en 1940, après avoir été supplantée par la concurrence des mines de Lorraine, plus proches des grands centres industriels où l'on fabriquait les armements.

Les mineurs tentèrent de moderniser la production pour prolonger l’activité des forges. L’acheminement du minerai restait toutefois un obstacle majeur. L’arrivée du train à Arles-sur-Tech fut un atout considérable pour l’industrie locale. De plus, la construction d’une ligne aérienne reliant Batère à Arles en 1900, longue de 9 km, permit d’approvisionner en continu les forges en minerai, retardant ainsi la fermeture des dernières mines catalanes.

Aujourd’hui, bien que les mines aient cessé leur activité, elles constituent un excellent prétexte pour de superbes randonnées dans le massif du Canigou. Le chemin menant de Valmanya à la Coume, d'une durée de deux heures, traverse la forêt sans grande difficulté. D’autres itinéraires partent de Montferrer ou Corsavy. Les mines de Batère, quant à elles, sont accessibles au bout d’une route de 15 km partant de Corsavy, où quelques bâtiments et vestiges de l’ancienne exploitation sont encore visibles.



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