Texte signé le 26 mai 1866 à Bayonne. Ce deuxième traité signé dans la foulée du premier est plus technique. Il donne des informations sur l’abornement présent à ce moment et sur la façon de l’améliorer, sur le pacage des troupeaux, sur les propriétés coupées par la frontière et sur la gestion des eaux transfrontalières.
ACTE ADDITIONNEL AUX TRAITÉS DE DÉLIMITATION CONCLUS LES 2 DÉCEMBRE 1856, 14 AVRIL 1862 ET 26 MAI 1866 ENTRE L'Espagne ET LA FRANCE
Les Soussignés, Plénipotentiaires d'Espagne et de France pour la délimitation internationale des Pyrénées, dûment autorisés par leurs Souverains respectifs, à l'effet de réunir dans un seul Acte les dispositions applicables sur toute la frontière dans l'un et l'autre pays, et relatives à la conservation de l'abornement, aux propriétés coupées par la frontière et à la jouissance des eaux d'un usage commun, dispositions qui, à cause de leur caractère de généralité, réclament une place spéciale qu'elles ne pouvaient trouver dans les Traités de Rayonne des 2 décembre 1856 et 14 avril 18622, non plus que dans celui sous la date de ce jour, sont convenus des articles suivants :
CONSERVATION DE L'ABORNEMENT INTERNATIONAL
Article I. Tous les ans, au mois d'août, les Autorités supérieures administratives des provinces et départements limitrophes se mettront d'accord pour ordonner aux Municipalités intéressées de nommer des délégués qui devront, dans chaque commune, et de concert avec ceux du territoire contigu de l'autre pays, faire sans délai une reconnaissance complète de l'abornement de leur frontière et en adresser, de part et d'autre, le rapport officiel auxdites Autorités supérieures pour l'effet que de droit.
Article II.. Sans préjudice des prescriptions de l'article précédent, et dans le but d'assurer la conservation des repères tout le long de la délimitation internationale plus efficacement que jusqu'à ce jour, les Gouverneurs civils et les Préfets s'entendront, chacun dans sa province ou son département, avec les chefs des divers services de l'Administration publique, pour qu'ils ordonnent à leurs agents employés à la frontière de veiller, de bonne intelligence avec les préposés municipaux qui en seront expressément et plus spécialement chargés, à ce qu'aucun dommage ne soit porté auxdits repères, de constater ceux qui auraient été commis, d'en rechercher les ailleurs et de signaler enfin à l'Autorité compétente tout ce qui se rapporte à cet objet.
Article III. Les Gouverneurs civils et les Préfets conviendront ensemble du rétablissement des repères détruits ou enlevés, les frais de l'opération devant être partagés également par les deux Gouvernements, sauf les vacations des Ingénieurs, lesquelles seront acquittées respectivement dans chaque pays, à moins qu'il n'ait été convenu qu'on ne déléguerait qu'un seul Ingénieur dont les vacations devront alors tomber à la charge des deux pays. Si les auteurs du dommage venaient à être découverts, ils en seraient personnellement responsables.
TROUPEAUX ET PÂTURAGES
Article IV. Dans l'intérêt réciproque de l'industrie pastorale des deux côtés de la frontière, les troupeaux de toute espèce qui passeront directement d'un pays dans l'autre pour aller dans les pâturages dont ils ont le légitime usage ne seront soumis à aucun droit ni à aucune formalité fiscale ou autre quelconque. La même franchise est accordée aux troupeaux qui, en vertu d'un titre régulier, emprunteront un chemin ou un territoire du pays voisin pour se rendre dans les pâturages dont ils ont la jouissance, soit dans ce pays, soit dans le leur.
Article V. Les troupeaux qui, durant leur séjour autorisé dans des pacages étrangers, ou quand ils s'y rendent ou en reviennent, s'éloigneraient par quelque raison fortuite à moins de 500 mètres de ces pacages ou du trajet qu'ils doivent suivre, ne pourront pas être considérés comme de contrebande ni être soumis en conséquence à aucune des peines imposées dans ce cas par le fisc, pourvu que l'intention frauduleuse ne soit pas évidente. Toutefois, si par le fait de ces échappées accidentelles, il se produisait quelque dommage, la responsabilité en incomberait aux propriétaires des troupeaux.
Article VI. Les Communes limitrophes qui auront la jouissance exclusive et légitime des pâturages dans le pays voisin pourront nommer à elles seules les gardes pour la surveillance de ces pâturages.
Quand la jouissance sera commune entre frontaliers respectifs, chaque Municipalité intéressée pourra avoir ses propres gardes ou en nommer de concert avec les autres usagers.
Les gardes pourvus du titre qui les accrédite prêteront serment devant l'Autorité compétente du pays où s'exerce la jouissance, et ils lui adresseront les plaintes que de droit.
PROPRIÉTÉS COUPÉES PAR LA FRONTIÈRE
Article VII Quoique la limite internationale partage diverses propriétés appartenant les unes à des Espagnols, les autres à des Français, et que chaque fraction de ces propriétés conserve la nationalité du pays où elle se trouve, les propriétaires n'en auront pas moins le droit de cultiver en toute franchise les fractions situées dans l'Etat voisin, pouvant passer librement la frontière, soit à l'aller, soit au retour, avec tout ce qui concerne cette culture et avec les produits de la terre. Toutefois, les intéressés restent libres de ne pas user du bénéfice de la franchise accordée à l'entrée de ces produits dans leur pays, les laissant alors soumis au droit commun du territoire où ils sont recueillis. Dans le cas où le propriétaire serait établi sur la partie de son bien située dans l'autre Etat, il y pourra réunir et garder en toute liberté et franchise les produits de tout le bien, avec faculté de les introduire ensuite dans son propre pays sans être assujetti à aucun droit d'entrée ou de sortie.
RÉGIME ET JOUISSANCE DES EAUX D'UN USAGE COMMUN ENTRE LES DEUX PAYS
Article VIII. Toutes les eaux stagnantes et courantes, qu'elles soient du domaine public ou privé, sont soumises à la souveraineté du pays où elles se trouvent, et, par suite, à sa législation, sauf les modifications convenues entre les deux Gouvernements. Les eaux courantes changent de juridiction du moment où elles passent d'un pays dans l'autre, et quand les cours d'eau servent de frontière, chaque Etat y exerce sa juridiction jusqu'au milieu du courant.
Article IX. Pour les cours d'eau qui passent d'un pays dans l'autre ou qui servent de frontière, chaque Gouvernement reconnaît, sauf à en faire, quand il y aura utilité, une vérification contradictoire, la légalité des irrigations, des usines et des jouissances pour usages domestiques existantes actuellement dans l'autre Etat, en vertu de concession, de titre, ou par prescription, sous la réserve qu'il n'y sera employé que l'eau nécessaire à la satisfaction des besoins réels, que les abus devront être supprimés, et que cette reconnaissance ne portera point atteinte aux droits respectifs des Gouvernements d'autoriser des travaux d'utilité publique à condition des indemnités légitimes.
Article X. Si, après avoir satisfait aux besoins réels des usages reconnus respectivement de part et d'autre comme réguliers, il reste à l'étiage des eaux disponibles au passage de la frontière, on les partagera d'avance entre les deux pays, en proportion de l'étendue des fonds arrosables appartenant aux riverains respectifs immédiats, défalcation faite des terres déjà irriguées.
Article XI. Lorsque, dans l'un des deux Etats, on se proposera de faire des travaux ou de nouvelles concessions susceptibles de changer le régime ou le volume d'un cours d'eau dont la partie inférieure ou opposée est à l'usage des riverains de l'autre Pays, il en sera donné préalablement avis à l'Autorité administrative supérieure de la province ou du département de qui ces riverains dépendent, par l'Autorité correspondante dans la juridiction de laquelle on se propose de tels projets, afin que, s'ils doivent porter atteinte aux droits des riverains de la Souveraineté limitrophe, on puisse réclamer en temps utile à qui de droit et sauvegarder ainsi tous les intérêts qui pourraient se trouver engagés de part et d'autre. Si les travaux et concessions doivent avoir lieu dans une commune contiguë à la frontière, les Ingénieurs de l'autre pays auront la faculté, sur avertissement régulier à eux donné en temps opportun, de concourir à la visite des lieux avec ceux qui en seront chargés.
Article XII. Les fonds inférieurs sont assujettis à recevoir, des fonds plus élevés du pays voisin, les eaux qui en découlent naturellement avec ce qu'elles charrient, sans que la main de l'homme y ait contribué. On n'y peut construire ni digue ni obstacle quelconque susceptible de porter préjudice aux riverains supérieurs auxquels il est également défendu de rien faire qui aggrave la servitude des fonds inférieurs.
Article XIII. Quand les cours d'eau servent de frontière, tout riverain pourra, sauf l'autorisation qui serait nécessaire d'après la législation de son pays, faire sur sa rive des plantations, des travaux de réparation et de défense, pourvu qu'ils n'apportent au cours des eaux aucun changement préjudiciable aux voisins, et qu'ils n'empiètent pas sur le lit, c'est-à-dire sur le terrain que l'eau baigne dans les crues ordinaires.
Quant à la rivière de la Raour qui sert de frontière entre les territoires de Bourg-Madame et de Puycerda, et qui, par des circonstances particulières, n'a point de bords naturels bien déterminés, on procédera à la démarcation de la zone où il sera interdit de faire des plantations et des ouvrages, en prenant pour base ce qui a été convenu entre les deux Gouvernements en 1750 et renouvelé en 1820, mais avec la faculté d'y apporter des modifications, si on le peut, sans nuire au régime de la rivière ni aux terrains contigus, afin que, lors de l'exécution du présent Acte additionnel, on cause le moins de préjudice possible aux riverains, en débarrassant le lit qui sera fixé des obstacles qu'ils y auraient élevés.
Article XIV. Si, par des éboulements de berges, par des objets charriés ou déposés, ou par d'autres causes naturelles, il peut résulter quelque altération ou embarras dans le cours de l'eau, au détriment des riverains de l'autre pays, les individus lésés pourront recourir à la juridiction compétente pour obtenir que les réparations et déblayements soient exécutés par qui il appartiendra.
Article XV. Quand, en dehors des questions contentieuses du ressort exclusif des tribunaux ordinaires, il s'élèvera entre riverains de nationalité différente des difficultés ou des sujets de réclamation touchant l'usage des eaux, les intéressés s'adresseront, de part et d'autre, à leurs Autorités respectives, afin qu'elles s'entendent entre elles pour résoudre le différend, si c'est de leur juridiction, et dans le cas d'incompétence ou de désaccord, comme dans celui où les intéressés n'accepteraient pas la solution prononcée, on aura recours à l'Autorité administrative supérieure de la province et du département.
Article XVI, Les Administrations supérieures des provinces et départements limitrophes se concerteront dans l'exercice de leur droit de réglementation des intérêts généraux et d'interprétation ou de modification de leurs règlements, toutes les fois que les intérêts respectifs seront engagés, et, dans le cas où elles ne pourraient pas s'entendre, le différend sera soumis aux deux Gouvernements.
Article XVII. Les Gouverneurs civils et les Préfets des deux côtés de la frontière pourront, s'ils le jugent convenable, instituer de concert, avec l'approbation des Gouvernements, des syndicats électifs, mi-partis de riverains espagnols et des riverains français, pour veiller à l'exécution des règlements et pour déférer les contrevenants aux Tribunaux compétents.
Article XVIII. Une Commission internationale d'Ingénieurs constatera, où elle le jugera utile, sur la frontière de la province de Girone avec le département des Pyrénées-Orientales, et sur tous les points de la frontière où il y aura lieu, l'emploi actuel des eaux dans les communes frontalières respectives et autres, s'il est besoin, soit pour irrigation, soit pour usines, soit pour usages domestiques, afin de n'accorder dans chaque cas que la quantité d'eau nécessaire, et de pouvoir supprimer les abus; elle déterminera pour chaque cours d'eau, à l'étiage et au passage de la frontière, le volume d'eau disponible et l'étendue des fonds arrosables appartenant aux riverains respectifs immédiats qui ne sont pas encore irrigués; elle procèdera aux opérations concernant la Raour, indiquées à l'article treizième; elle proposera les mesures et précautions propres à assurer, de part et d'autre, la bonne exécution des règlements et à prévenir, autant que possible, toute querelle entre riverains respectifs; elle examinera enfin, pour le cas où on établirait des syndicats mixtes, quelle serait l'étendue à donner à leurs attributions.
Article XIX. Aussitôt que le présent Acte aura été ratifié, on pourra nommer la Commission d'Ingénieurs dont il est parlé à l'article dix-huitième pour qu'elle procède immédiatement à ses travaux, en commençant par la Raour et la Vanera, où c'est le plus urgent.
Article XX. Les dispositions précédentes seront applicables à toute la frontière d'une mer à l'autre, aussi bien qu'à l'enclave de Llivia, et auront la même force et valeur que si elles étaient insérées textuellement dans les deux premiers Traités de Bayonne des 2 décembre 1856 et 14 avril 1862, et dans le troisième qui les complète sous la date de ce jour, restant abrogées toutes stipulations différentes ou contraires des deux premiers Traités précités.
RECTIFICATION DE L'ARTICLE XV DU TRAITÉ DE LIMITES DE 1862
Article XXL Le troisième paragraphe de l'article quinzième du Traité de limites du 14 avril 1862 n'étant pas conforme à l'usage alors existant, lequel la Commission mixte a entendu maintenir sans y rien changer, ledit paragraphe est déclaré nul et il est rectifié ainsi qu'il suit, pour avoir, dans sa nouvelle rédaction, la même force et valeur que s'il faisait partie intégrante dudit Traité :
"Les troupeaux de Broto et de Barèges pourront jouir en commun, tous les ans, des sept quartiers d'Ossoue jusqu'au 11 juin; mais, à partir de ce jour, les fermiers et sous-fermiers auront seuls le droit de pacager dans les quartiers qui leur seront dévolus."
Article XXII. Le présent Acte sera ratifié et les ratifications en seront échangées à Paris, aussitôt que faire se pourra.
EN FOI DE QUOI, les Plénipotentiaires l'ont signé et y ont apposé le cachet
FAIT en double expédition, à Bayonne, le vingt-sixième jour du mois de mai de l'an de grâce mil huit cent soixante-six.
El Marquès DE LA FRONTERA
Manuel MONTEVERDE
Général CALLIER
Comte SÉRURIER